20110217

Je ne voyais pas mes amis, mais (tandis qu'arrivaient jusqu'à mon belvédère l'appel des marchands de  journaux, des «journalistes», comme les nommait Françoise, les appels des baigneurs et des enfants qui jouaient, ponctuant à la façon des cris des oiseaux de mer le bruit du flot qui doucement se brisait), je devinais leur présence, j'entendais leur rire enveloppé comme celui des Néréides dans le doux déferlement qui montait jusqu'à mes oreilles. «Nous avons regardé, me disait le soir Albertine, pour voir si vous descendriez. Mais vos volets sont restés fermé, même à l'heure du concert.» A dix heures, en effet, il éclatait sous mes fenêtres. Entre les intervalles des instruments, si la mer était pleine, reprenait, coulé et continu, le glissement de l'eau d'une vague qui semblait envelopper les traits du violon dans ses volutes de cristal et faire jaillir son écume au-dessus des échos intermittents d'une musique sous-marine. (…) Et tandis que Françoise ôtait les épingles des impostes, détachait les étoffes, tirait les rideaux, le jour d'été qu'elle découvrait semblait aussi mort, aussi immémorial qu'une somptueuse et millénaire momie que notre vieille servante n'eût fait que précautionneusement désemmailloter de tous ses linges, avant de la faire apparaître, embaumée dans sa robe d'or.

Marcel Proust


Presque une année de lecture qui se termine.

2 commentaires:

  1. c'est la fin du livre que tu post ici ?

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  2. Oui c'est ça. Il se trouve que j'ai beaucoup aimé ce passage. C'est peut-être influencé par cet état d'apesanteur qui survient lorsque je finis un livre comme celui-ci. Mais on ne peut pas vraiment savoir.

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